Exposition Marc Desgrandchamps, MAC de Lyon, 2004.

La première sensation n’est pas des plus agréables, face à une « peinture du doute » comme la définit son auteur, les certitudes forcément vous lâchent. Que dire, que penser devant cette peinture au sujet indéterminé et indéterminable. Vient le moment où le spectateur désemparé cherche du regard un cartel qui peut-être s’avérera éclairant… raté, en noir sur blanc vous lirez : Sans titre, 2002. Finalement ce n’est pas plus mal, il n’y a plus qu’à se concentrer sur l’œuvre, et c’est à cette condition seulement que vous pénètrerez dans l’univers flottant de Marc Desgrandchamps. On se retrouve entre deux eaux, sans repère temporel ni spatial, comme dans un rêve ou un souvenir, les choses se superposent et s’entremêlent, se contredisent et s’effacent.

Ces grandes huiles sur toile ont quelque chose de classique et de révolu, mais Desgrandchamps vous dira qu’il travaille avec les restes. Ces restes se sont ceux des grandes formes, ce sont aussi des photos, les siennes ou celles qu’il trouve dans la presse. Sur la plage une baigneuse s’efface laissant apparaître une sculpture grecque monumentale, toute de marbre diaphane, couronnée d’un parasol jaune et bleu qui rappelle un peu celui du jardin, elle a chaussée les tongs vertes que vous aviez justement quittées pour vous rendre au musée… Décidément cet univers ne vous est plus si étranger…

Rencontre avec Marc Desgrandchamps

Marc Desgrandchamps, trois rétrospectives vous étaient consacrées cet été dans différents musées français, il devient difficile d’ignorer votre peinture, peut-être pourriez-vous nous la décrire ?

C’est une peinture qui est attachée à la représentation, celle de la figure particulière, j’entends par là tant le corps humain, qu’animal, que l’objet, les choses. Il y a cette volonté de maintenir la figure tout en l’attaquant, en la sapant par la matière même qui la constitue. C’est une matière picturale qui est extrêmement diluée, très ténue et très écoulée, cela va avec l’idée d’une forme de précarité de la figure. En résumé il y a une volonté de mettre en danger la figure tout en la préservant, une antinomie.

Vous semblez vous plaire à maintenir cet équilibre précaire par une perpétuelle mise en tension. On est toujours dans l’entre-deux, entre tradition et innovation, rêve et réalité, finitude et permanence, paysage et nu, sujet académique et vie quotidienne… On pourrait quand même se demander si tout cela n’est pas l’expression d’une hésitation, d’un non-choix.

Je le vois plutôt comme une forme de scepticisme, je ne pense pas être dogmatique. Et puis il y a une présence dans ces tableaux, une présence de la figure, qui dit présence dit quand même une positivité, et donc une affirmation. Mais en même temps je suis très fasciné c’est vrai par les figures d’oxymore. J’ai une tendance à réunir des contraires. Il y a donc un doute oui, il me semble très difficile aujourd’hui d’avoir un point de vue unique. Je crois malgré tout que c’est une vision du monde, parce que montrer le monde dans une forme de dissolution c’est quand même une vision, un constat, c’est signifier un état des choses. Pour moi ce n’est donc pas une simple position de retrait. Il y a des choses qui s’affirment, qui se lient, ça fait aussi partie de la vie, la vie est faite de réanimation des contraires.

De même le temps est-il toujours suspendu dans vos œuvres ?

Oui, je l’envisage comme une simultanéité, cela rejoint le phénomène de la transparence parce que la transparence c’est présence et absence réunies en une même vision, et bien il y a là dedans je pense une dimension temporelle, c’est une sorte de stase, le déjà vu et le pas encore sont tenus ensemble ici et maintenant, vous voyez là aussi il y a une espèce d’antinomie.

Il y a aussi ces tongs que l’on retrouve dans vos tableaux au pied d’un nu féminin ou d’une sculpture, et vos baigneuses en maillots sont d’une massivité, d’une monumentalité dignes d’un antique.

La sandale c’est un objet qui témoigne de la présence ou du passage. D’une certaine façon elle sert de socle à la figure, elle la révèle. Là encore se côtoient une sorte d’éternité et un objet très contemporain.

Pourquoi vos tableaux ne portent-ils pas de titres ? Est-ce pour ne pas les cantonner à un sens ?

Oui, souvent les gens se réfugient dans le titre. Disons que je ne veux pas induire le regard du spectateur. De toute façon c’est totalement utopique parce qu’on sait bien comme disait Duchamp que c’est le regardeur qui fait le tableau.

Alors c’est au spectateur de se débrouiller !

Non, simplement je ne veux pas lui donner une image univoque. Ce n’est pas pour cela qu’on fait de la peinture. On peint pour donner une vision du monde, je pense qu’il y a quand même une vision du monde dans cette peinture mais qui n’est pas une vision unique.

Interview publiée dans le Magazine Art Jonction, 2004